
Récemment je me suis trouvé confronté à un problème existentiel plutôt nouveau et particulièrement douloureux. : le choc intergénérationnel. En fait je l'avais déjà vécu mais dans l'autre sens. J'étais alors dans le rôle du "jeune" face à l'incompréhension des "vieux". J'aurais dû voir venir, c'était prévisible et incontournable. Je croyais m'y être préparé, virtuellement en tout cas, car l'on sait que la roue tourne inexorablement et donc, on y pense fatalement de temps à autres. Mais au final, rien ne vaut le vécu et pour le coup, il fit mal.
J'ai donc quelques "amis" dans mon entourage qui sont deux fois plus jeunes que moi. Ils ont dans les vingt-cinq ans, j'en affiche le double. Nous nous entendons plutôt bien et partageons, avec certains, des goûts assez proches, dans le cinéma notamment. Au point que certains, travaillant vaguement dans le milieu des images et connaissant mes goûts pour le cinéma et l'écriture, m'avaient commandé un scénario de court-métrage. Je sautais à pieds joints sur la demande et m'y consacrais, presque toute affaire cessante, pour le plaisir du challenge, n'en ayant jamais écrit. Une dizaine de synopsis fut rapidement soumise et le scénario retenu fut rendu le mois suivant. Excitation générale, réécritures multiples, soumission du texte à un cercle plus large, mise en place de la production, recherche d'une équipe technique, casting, repérage,.. l'enchaînement rapide et infernal dans une totale excitation.
Le film s'est finalement tourné, en plusieurs périodes, avec ses désistements nombreux, ses incidents divers, ses péripéties cocasses et une bonne humeur générale et vivifiante. Il est actuellement en phase de postproduction et c'est ici, que semble-t-il, j'ai contracté une vieux-connite aiguë.
Elle date de six mois après la fin du tournage, période au cours de laquelle, j'ai "agressé" mes petits camarades parce que selon moi, le montage traînait en longueur, les soupçonnant d'avoir perdu toute motivation et leur implication première dans le projet. Le film était dérushé depuis plusieurs mois et subitement, l'élan qui nous avait tous emportés lors des tournages était complètement retombé, tout devenait poussif. J'ai alors tenté d'expliquer, apparemment fort maladroitement, que tout ce que l'on fait de bien est avant tout une affaire de motivation, plus que de volonté. En outre, lentement, le temps passé dissout l'envie et le désir de faire…
J'affirmais donc que si le projet n'avançait pas, c'était bien à cause de cela mais ils ne furent pas disposés à l'entendre de cette oreille et l'on me renvoya à mes pénates, me signifiant que la motivation était toujours aussi forte, que je n'avais pas de leçon à donner ni de méthode de travail à imposer, qu'il fallait laisser le temps au temps... bref que s'ils étaient de jeunes "branleurs", j'étais devenu de mon côté un "vieux con".
Bien !
Je m'en suis voulu terriblement pendant des semaines et me suis effectivement traité de vieux con car je venais de rompre une complicité que je croyais acquise tout en creusant entre nous ce maudit fossé générationnel dont je ne pensais pas un jour être l'artisan.
Cela ne m'a pas empêché de récidiver cinq mois plus tard, il y a donc quelques jours, pour une histoire toute bête.
Tout récemment, j'ai adressé mes vœux à une grande partie de mes contacts mail et notamment certains acteurs dont j'avais l'adresse. L'un d'eux, qui avait gentiment prêté son concours il y a un an, m’écrivit en retour, qu'il était plutôt déçu de n'avoir aucune nouvelle de la production un an plus tard. Il estimait, avec raison, qu'après s'être levé à l'aube un dimanche matin, avoir reçu, entre autre, un sceau d'eau fraîche en plein mois de février dans un gymnase non chauffé, le tout gracieusement, méritait un minimum d'égard amical. J'ai été fort peiné par ces mots et n'ai pu que me confondre en excuses minables tout en lui signifiant que moi-même étais sans nouvelle depuis plusieurs mois et qu'il semblait que les priorités de la production et de la technique étaient ailleurs ainsi que leur motivation, le projet avançant par petites touches... Malheurs sur moi, car après copie du mail et de ma réponse à mes petits camarades, ils m'ont à nouveau fait sentir en quelle estime ils me tenaient désormais. Je les avais tout simplement balancés, ce qui de leur point de vue était concevable mais pas du tout du mien, n'estimant plus faire partie de leur équipe depuis longtemps car sans aucune information sur le suivi.
Nous en avons conclu que nous étions finalement incapables de travailler ensemble. Je me suis bien gardé de répondre que je n'appelais pas cela travailler car cette réponse aurait été de toute évidence perçue comme un symptôme incurable de vieux-connite.
Ainsi je reproduisais, instinctivement, un épisode de mon adolescence. Je refusais, à l'époque, tout enseignement des adultes, persuadé, non pas de tout savoir mais que d'autres voies existaient et que les vieilles méthodes de "papa" avaient fait long feu. Je retrouvais chez eux ce refus formel d'envisager la critique comme faisant partie de l'apprentissage, d'accepter ses erreurs et les considérer comme productives et riches d'enseignements. La seule différence était que j'avais vécu cela au cours de mon adolescence alors qu'eux avaient déjà plus de vingt-cinq ans. Il semblerait que chaque nouvelle génération soit un peu en retard sur la précédente mais qu'importe... voilà encore une remarque qui confirmera le diagnostic.
Sans doute ai-je pris ce court-métrage trop au sérieux et marqué mon empressement avec trop de véhémence. Peut-être est-ce l'avancée en âge qui procure ce besoin d'agir vite et de ne laisser que peu de temps au temps, tant le sentiment qu'il nous échappe se fait ressentir exponentiellement tout au long de la vie.
J'ai bien perdu, en effet, cette nonchalance que j'observe chez eux, cette décontraction liée à l'absence de réelles responsabilités. Je regrette l'insouciance, l'irrespect et l'égoïsme qui m'habitaient il y a trente ans, quand il était simple et sans conséquence de tout remettre au lendemain...
Je regrette ma jeunesse donc rien de nouveau sous le soleil, en fait !
Je crois que je vais consulter en espérant que ça se soigne.