mardi 9 février 2010

Film : Rien de personnel - Mathias Gokalp

Voici un huis clos plutôt malin, déroutant et exemplaire à bien des égards.

Le laboratoire pharmaceutique Muller organise une réception à l'occasion du lancement d'un nouveau produit. Au cours de la soirée, on découvre qu'il s'agit en réalité d'un exercice de coaching pour les cadres de l'entreprise. Bientôt, les rumeurs sur le rachat prochain de la société se répandent insidieusement et chacun tentera de sauver sa place.

Un premier film découpé au cordeau et réglé comme un chronomètre de précision. En plus d'être cruel, traitant avec cynisme de rachat d'entreprise et de plan de restructuration, le film utilise les codes du thriller pour mieux dramatiser et insuffler une atmosphère étouffante de suspicions croisées. Qui sera mangé et plus simplement qui est qui dans cette soirée éprouvante ? Qui coache qui et qui sont vraiment les victimes de ce jeu de massacre organisé ?

Le montage exemplaire repose sur un récit éclaté où les mêmes scènes sont filmées du point de vue des différents protagonistes et sous des angles différents. Personne n'est ce qu'il paraît être et les pions de cette partie d'échec avancent masqués sur un carrelage de faïences noires et blanches.

Les interprètes sont tout simplement géniaux, Jean-Pierre Darroussin, Denis Podalydès, Mélanie Doutey, Pascal Grégory, Zabou Breitman et Bouli Lanners pour ne citer qu'eux...

Qu'il est bon de se faire balader quand cela est fait avec brio.

Film : Demain dès l'aube - Denis Dercourt

Le film a pour toile de fond l'univers des "rôlistes" et les campagnes napoléoniennes. Il dépeint la relation entre deux frères, l'aîné, pianiste virtuose et célèbre, et son cadet, passionné de batailles historiques et de jeux de rôles. Leur mère souffrante, demande à l'aîné de protéger son jeune frère et l'aider à reprendre pied dans la réalité. Pour ce faire il n'aura d'autres choix que de basculer à son tour dans ce monde étrange où le jeu et la réalité se confondent dangereusement.

Voilà un film bien élégant où Vincent Perrez, après une absence de plusieurs années des plateaux, joue Paul le frère aîné, et trouve sans doute dans ce film l'un de ses plus beaux rôles, tout en retenu, en regards, en silences et en maîtrise. Jeremy Renier joue Mathieu, le jeune frère fragile et attachant qui trouve dans sa passion dévorante une reconnaissance et un accomplissement absents de sa vie réelle. Tout comme ses partenaires d'ailleurs, à l'instar de cet ancien patron déchu (excellentissime Aurelien Recoing), endossant l'habit de Capitaine autoritaire, commandant en chef du IIe Bataillon de Hussards de l'Empereur ou encore cet aide-soignant (inquiétant Gérald Laroche) celui d'un Médecin-Major exerçant son art rudimentaire lors de duels réels.

Le film s'ouvre d'ailleurs sur une scène de duel où deux hussards (mais nous n'apprenons qu'ensuite qu'il s'agit d'une reconstitution) se préparent à battre le fer pour laver leur honneur. "Au premier sang versé"... il s'agit bien d'un véritable duel, qui en cas d’accident mortel sera maquillé en accident d'escrime ou de chasse à l'arme ancienne.

Construit comme un thriller, le film bascule sans arrêt entre réalité et reconstitution. Paul le virtuose plonge dans ce monde hallucinant pour faire plaisir à ce frère qu'il adore mais dont ses activités, ses concerts et ses succès l'ont éloigné de lui. Il est contraint de rentrer dans ce jeu qu'il observe tout d'abord avec amusement et étonnement revêtu de son habit de Hussard du Ve Bataillon Impérial. Il se rend compte bientôt qu'il ne s'agit pas d'un simple jeu et s'investit d'avantage afin de protéger ce frère qu'il pressent en danger. L'amusement se transforme très vite en agacement puis en crainte pour se terminer en véritable cauchemar quand il est lui-même confronté à l'honneur bafoué et à la haine du Capitaine qui voit dans le duel l'unique moyen de laver un affront imaginaire et grotesque.

Film sur la schizophrénie, sur le désir ou le besoin de jouer pour échapper au quotidien, sur la folie de s'échapper trop loin, ce film étrange, très bien écrit, formidablement joué, filmé avec sobriété, est d'une saveur rare.