mercredi 4 mai 2022

La bêtise valorisante

 "Je hais donc je suis !"

La bêtise possède ce net avantage sur l’intelligence, de pouvoir se mutualiser et se diffuser très facilement de façon virale. Dommage que ce ne soit pas l'inverse. Nous avions rêvé d'un internet et de réseaux sociaux qui véhiculent librement les connaissances et la fraternité mais force est de constater, après deux décennies de flux numériques, que la médiocrité et la malveillance ont pris les commandes de ces outils incroyables. L’humain a la fâcheuse inclination à détourner, vers le côté obscur, ses inventions les plus lumineuses.

La parole s’est donc totalement libérée à travers ces nouveaux canaux. Sans doute avons-nous rapidement entrevu la voie royale d’une réelle démocratie, sans filtre, qui s’offrait à nous… une liberté d’expression inégalée, absolue. Malheureusement, ce que nous avons gagné en liberté, nous l’avons perdu en pertinence et en qualité. Comme ces enfants qui cassent leur jouet, nous avons corrompu ce cadeau technologique pour en faire l’instrument vengeur de nos tourments, le container sans fond de nos aigreurs. Nous sommes des êtres lamentables et pitoyables, étriqués et sans rêves.

La peur, la haine, la jalousie, la vulgarité, la méchanceté, le mensonge, l’insulte et la violence, se sont données rencard pour exploser les limites de la décence. Notre mal-être peut-il justifier ce déferlement quotidien de rage ? Cela nous soulage-t-il vraiment d’agonir d’injures nos voisins humains ? Et est-ce que le « no limit » fait avancer la situation dans la bonne direction ? Le défoulement outrancier n’est jamais la solution. À peine peut-il s’agir d’un bref moment d’extase, à l’instar d’un fix que le toxicomane se paie, de plus en plus fort, de plus en plus souvent. Oui, le ressentiment et la colère sont des addictions, ils rongent l’âme lentement et obscurcissent durablement le jugement.

La parole individuelle anti doxa, devient parole d’évangile (ou éléments de langage militant) dès lors qu’elle est relayée et amplifiée par les moutons anti système (d’ailleurs quel système et comment aujourd’hui être anti ou hors du système en conservant son ordinateur, son mobile, son internet, sa CB, ses crédits, son emploi, sa voiture, etc, etc, etc ?). La parole officielle est devenue systématiquement suspecte car il est beaucoup plus confortable de se voir comme une victime du pouvoir (occulte ou pas) plutôt que d’assumer ses propres errances et ses choix malheureux. Hyperassistés, nous avons perdu peu à peu les automatismes de notre autonomie, de notre liberté d’action et, plus généralement, le contrôle de notre vie. Nous dénonçons la dictature du gouvernement mais nous nous lamentons quand il supprime une subvention. Nous voulons à la fois être entièrement libres et totalement dépendants.

Que s’est-il passé, en ce début de XXIe siècle, pour qu’une défiance généralisée prenne le contrôle de notre réflexion et de nos décisions ? Les médecins jadis grandement respectés sont subitement devenus des assassins, complices des laboratoires pharmaceutiques, apprentis sorciers, assoiffés de dividendes. Les gouvernants, de purs dictateurs, sont les marionnettes du Grand Capital Mondialiste dont l’unique but, au-delà de s’enrichir, est de nous asservir, voire nous éliminer, via des moyens technologiques hypersophistiqués. Les médias, rebaptisés subtilement « merdias », à la solde des puissants, nous désinforment en continu et nous maintiennent endormis dans notre routinière attitude consumériste. Les Juifs, toujours eux, qui malgré le harcèlement deux fois millénaire dont ils sont victimes, continuent de tout contrôler (?). En face, les Musulmans, qui, lentement mais sûrement, sont, selon des sources bien informées, en train de nous submerger (?). Le radicalisme primaire le plus étroit s’invite dans toutes les sphères de la société, politique, religion, culture, sport, éducation, santé, justice… STOP !!! Les délires paranoïaques et autres névroses égocentriques ont trouvé là, les outils adaptés à leur monstrueuse contagion.

Charlatans, bonimenteurs, aventuriers médiatiques, politiciens polémistes, factieux extrémistes et autres opportunistes egocentrés, encombrent les serveurs et polluent les cerveaux et la planète de leurs incessants factums. Les périodes troubles et difficiles, les voient proliférer et les suiveurs égarés ou désemparés se multiplier. Ne nous leurrons pas car, au-delà de la manœuvre évidente de désinformation et de déstabilisation qui ne vise que la prise de pouvoir, il s’agit également de business lucratifs pour la plupart. Livres, vidéos, méthodes de coaching, d’épanouissement ou de bien-être, conseils juridiques ou fiscaux, produits dérivés et griffés… un écosystème alternatif s’est développé qui surfe sur le mécontentement et la misère ambiante, entretenus avec habileté. Il s’agit d’appliquer le vieux concept de la division, tout en flattant les esprits les plus poreux, pour tirer le maximum de profit de cette clientèle désabusée en demande.

La confusion générale des idées et le brouillage systématique des informations, fédère, autour des mêmes concepts moisis, des sensibilités d'ordinaires opposées mais partageant le même dégoût pour les pouvoirs en place, qu'ils soient financiers, politiques, scientifiques ou médiatiques. Il est désormais fréquent que Mélanchonistes et Lepenistes se retrouvent autour de valeurs communes de plus en plus nombreuses. La détestation des puissants est un terreau hautement fertile sur lequel prospèrent désormais les idées les plus viles et les théories les plus fumeuses.

Le virtuel anonyme est devenu un défouloir sans humanité, un cloaque nauséabond pour ceux dont la vie n'est plus une vie et qui cherchent ainsi à lui redonner un sens. Mais quel sens exactement ? Celui de la haine, de la fracture, de la revanche et du chaos ? Tout cela est dramatiquement con et nous renvoie à notre côté bestial (ce qui est en soi une insulte pour le règne animal).

La pandémie de 2020 et le confinement radical nous avait permis d'imaginer (naïvement) un monde nouveau. Nous pouvions entendre de nouveau le chant des oiseaux dans les villes et nous en émerveillions. Nous avions retrouvé un peu de solidarité et de fraternités dans l'épreuve. Tout semblait redevenu possible... Malheureusement, les apôtres de la peur et de la discorde ont rapidement balayé le rêve éveillé. Face aux hésitations et atermoiements d'un gouvernement qui tentait de s'adapter au mieux à une crise sanitaire totalement déstabilisante pour l'ensemble de la planète, il fut aisé de semer la confusion autour de la parole officielle et des solutions mises en place. Les réseaux ont, à leur niveau, parfaitement orchestré et amplifié la désinformation générale qui a suivi, au risque de se contredire totalement au fur et à mesure de l'évolution de la situation. Des clans opposés sont nés. Les "pro" et les "anti" s'affrontent toujours aujourd'hui, de façon aussi irrationnelle des deux côtés. Le dialogue est rompu. Ce qui pouvait être un choix personnel de santé, est rapidement devenu un choix politique contestataire, au risque de se mettre en danger. Des dizaines de personnes meurent encore chaque jour par pur dogmatisme. Nous avons perdu la raison en imaginant que tous les médecins étaient devenus des Dr Mengele. Malgré un recul de deux années d'études sur les vaccins distribués, sans effets secondaires recensés, hormis ceux des conspirationnistes notoires, un certain nombre persiste dans le refus de se protéger et protéger les autres. Ils espèrent égoïstement passer entre les gouttes et ils le pourront sûrement (qui sait ?) parce qu'autour d'eux, dans la cité, la grande majorité est vaccinée.

Le rêve d'une humanité mature et bienveillante se dissout lentement et ces avancées technologiques qui étaient destinées à nous rapprocher, nous ont au contraire éloignés, pire, divisés, isolés. La misère pécuniaire et intellectuelle a fracturé le jeu collectif de notre société. L’extrême-droite et l’extrême-gauche se rejoignent dans la même lutte des classes, passant outre, parfois, les valeurs qui les opposent radicalement. L’idéologie a fait place au combat commun contre la pauvreté et la mondialisation et ils s’abreuvent tous, des mêmes infos toxiques , aux mêmes sources, partageant le même engouement rageur à discréditer un pouvoir qu’ils jugent plus autoritaire qu’eux-mêmes, un comble. Nos boussoles sont donc bien totalement devenues folles.

Les imbéciles ont trouvé dans ces réseaux un espace de liberté qu’ils ont largement investi et pollués comme ils l’ont fait avec le reste de la planète. Le pouvoir inattendu de ces outils, est de faire croire à ceux qui en usent qu'ils sont subitement devenus importants et intelligents, du fait d’écrire, même approximativement, et de relayer des informations sulfureuses voire des complots improbables. Dévoiler une info secrète, avérée ou pas, appartenir aux initiés, vous place automatiquement au-dessus du commun. La connaissance de la "vraie vérité" se transforme souvent en une explication limpide et justifiante de ses propres échecs. Cette grisante sensation d'une reprise de contrôle de sa vie, est unique, elle est désormais devenue vitale et addictive. Appartenir au club des "sachants non-moutons", bien qu'il s'agisse ici d'une forme évidente de panurgisme, est vécu comme une véritable révélation valorisante. Il semble impossible d'encadrer le phénomène (au nom de qui et au nom de quoi ?), la liberté d'expression, même si elle est toxique, est un acquis "démocratique". Trop tard !

Geek, depuis les années quatre-vingt et les années Jobs, le déploiement d'internet tout d'abord dans les années 2000, et l'explosions des réseaux sociaux par la suite, m'ont comblé au-delà de mes rêves de gosse. Un univers incroyable, quasiment magique, s'est ouvert à nous. Les promesses qu'il induisait, les possibilités qu'il offre désormais sont infinies, comme l'univers justement. Pourquoi faut-il toujours que l'humain pourrisse les territoires où il met les pieds ? C'est complètement dingue mais avant tout totalement affligeant !

samedi 30 avril 2022

Paradoxe politique

Les candidats vaincus à cette élection présidentielle, avaient l’avantage de ne pas avoir à justifier un bilan très largement controversé. Avantage dont ils n’ont manifestement pas su tirer partie. Pour se consoler, il semble utile de rappeler aux mauvais perdants, que leur candidat malheureux, se résume, au bout du compte, à un simple catalogue de promesses ? Et les promesses en politique…

Une lapalissade de consolation : gagner c’est s’exposer, perdre c’est se préserver.

vendredi 29 avril 2022

L'attraction du pire

La présidentielle est actée et les législatives se tiennent en embuscade, la vengeance comme credo et la rage comme porte-étendard.

Époque absolument névrosée où tout, absolument tout, est remis systématiquement en cause, quels que soient le sujet et les enjeux : notre constitution, nos lois, nos valeurs et nos choix électoraux.

La schizophrénie contagieuse des réseaux sociaux, où nos pseudos de pleutres se répandent en insultes perpétuelles, contribue pleinement à déliter le vivre-ensemble et notre collectif démocratique. Les revanchards, les aigris et les factieux sont aux premières lignes de ces territoires numériques et vomissent avec méthode et ostentation leur colère et leur propagande haineuse. Un seul mot d'ordre : désinformer et déstabiliser.

Il ne s'agit pas de nier les problèmes sociétaux et les difficultés réelles, voire la souffrance, pour bon nombre de nos concitoyens qui se débattent dans un monde, dans une France, qui ne respecte que ceux qui n'ont pas besoin d'aide.

Ce dont il s'agit, c'est de ne pas hurler avec les loups bruns.

Ce dont il s'agit, c'est de porter un combat de classes et d'égalité et de se démarquer des postures fascisantes et ostracisantes.

Ce dont il s'agit, c'est de ne pas confondre voie démocratique et populisme flagorneur.

Si la colère est justifiée, elle s'avère trop souvent mauvaise conseillère, confinant le plaignant dans un rôle de perpétuel râleur et suiveur impénitent au lieu de s'inscrire dans une véritable lutte constructive et pourquoi pas physiquement investie. Toute la question est de savoir si nous sommes prêts à perdre le peu que nous avons et si le confort d'une jacquerie en pantoufles n'est pas une solution de facilité et le cruel aveu de notre absence de courage.

La Révolution est une belle idée romantique mais elle promet l'incertitude et le chaos.

Ce dont il s'agit finalement, c'est de savoir ce dont nous avons vraiment envie et ce dont nous sommes réellement capables.

lundi 18 avril 2022

L’abstention pro fachos

Zemmour a œuvré magistralement pour que tout le monde, y compris l’ensemble des médias, se pose la question stupide « Marine Le Pen est-elle d’extrême droite ? »

L’exécration d’Emmanuel Macron est arrivée à un tel niveau (lui davantage que sa politique d’ailleurs) que le questionnement pervers se diffuse tranquillement et profondément dans toutes les strates de la société. À tel point que nombre d’électeurs de la gauche modérée, insoumise ou radicale, sont prêts à s’abstenir au risque de faire entrer les fachos à l’Élysée.

J’imagine leur tête, le soir du 24 avril 2022, lorsque s’affichera sur leurs écrans le portrait de la gagnante : « trop tard… oh et puis après tout on verra bien, ça ne peut pas être pire… et puis elle ne peut rien faire sans majorité… s’il le faut, on descendra dans la rue… de toute façon, cinq ans de plus avec Macron, c’était pas tenable… »

Comment en est-on arrivé là ? Comment imaginer que l’alternance envisagée puisse se passer sans douleur, sans un séisme constitutionnel inévitable ? Qui peut prétendre arrêter la louve, une fois entrée dans la bergerie ?

Il est certes plus confortable de s’abstenir, de jouer les purs et durs, et laisser les autres « se compromettre » en glissant le bulletin Macron dans l’urne. Ces autres qui, en se pinçant le nez, éviteront peut-être le pire. Ce pire qui subitement, le temps d’une campagne, semble avoir, sinon changer de camps, du moins être réparti équitablement d’un côté comme de l’autre.

Macron, aussi facho que Le Pen ? La France, une dictature comme le diffusent depuis des mois les réseaux sociaux et autres médias alternatifs ? C’est une blague, une mascarade ! C’est une vision uchronique et polémique de la réalité !

Qu’a fait de pire le gouvernement actuel par rapport aux gouvernements précédents de Hollande, Sarkozy ou Chirac, à part être confronté à la déferlante haineuse des propos de ceux qui ont trouvé à travers les canaux internet les moyens facilités d’exprimer leur colère, leur rage et donner un peu de sens à leur triste vie et amoindrir sans doute un peu leur souffrance.

Non, Macron n’est pas pire que Sarko et sans doute, au milieu des différentes crises traversées, a-t-il été plus protecteur que ne l’auraient été ses prédécesseurs. Par exemple, les aides financières apportées aux entreprises, aux paysans, aux artisans, aux indépendants ou aux artistes sont-elles subitement devenues anecdotiques ?

D’accord, Macron est sans doute arrogant, financier avant d’être social, froid, calculateur, manipulateur… on pourrait ainsi dérouler une liste convenue… en fait rien qui ne le différencie de ses prédécesseurs que nous subissons depuis… toujours, oserais-je dire.

Seulement voilà, le peuple en a subitement assez de se faire tondre et il prend le risque de lendemains crépusculaires où la contestation deviendra un délit et où le mot dictature retrouvera ses lettres de noblesse et son véritable sens. Et ne parlons pas de la brouette de valeurs moisies et pétainistes qui mettraient la France au banc des nations.

Je ne pense pas que le risque d’un changement radical de régime, soit un bon calcul, malgré les propos doucereux et rassurants de la candidate et de ses lieutenants que les coléreux gobent avec gourmandise, même parmi le peuple de gauche.

À moins que, et cela n’est pas extravagant bien que fort risqué, ne soit envisagé et recherché le blocage des institutions et des libertés, de la vie politique et sociale, conduisant à l’amorce d’une insurrection citoyenne, prémices d’une guerre civile ou d’une révolution salutaire.

C’est vrai que de la contrainte naissent les opportunités et qu’il peut être plus simple de se révolter face à un régime extrémiste oppressant pour tous que face à un pouvoir simplement ultralibéral et prédateur pour certains.

Les électeurs de gauche rêvent-ils finalement d’un prochain Grand Soir ?