mercredi 28 janvier 2009

Bouquin : Syngué sabour - Atiq Rahimi

Syngué sabour : n.f. (du perse syngue 'pierre', et sabour 'patience'). Pierre de patience. Dans la mythologie perse, il s'agit d'une pierre magique que l'on pose devant soi pour déverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misères... On lui confie tout ce que l'on n'ose pas révéler aux autres... Et la pierre écoute, absorbe comme une éponge tous les mots, tous les secrets jusqu'à ce qu'un beau jour elle éclate... Et ce jour-là, on est délivré.

Le dernier Goncourt est simplement magnifique !

Quatrième roman de l'Afghan Atiq Rahimi, celui-ci a la particularité d'avoir été écrit directement en Français (histoire de bien nous mettre la honte). La langue est pure, poétique, de toute beauté. 150 pages de plaisir condensé.

Une femme soigne et veille son mari, islamiste, tombé au combat. Il est chez eux, sur un matelas à même le sol, dans le coma et sous perfusion. Elle prie, égrenant son chapelet et scandant quatre-vingt-dix-neuf fois l'un des noms de Dieu. Elle fait une pause, remplace la perfusion et recommence à scander et prier. Son stock de poche à perfusion arrivant à son terme, chez elle comme partout dans le pays, elle prépare une solution d'eau sucrée, retire le catétère du bras de son homme et lui enfile le tube dans l'estomac. Puis elle reprend ses prières tout en calant sa respiration sur celle du malade.

Elle prie pour la guérison, pour la paix, pour une meilleure vie. Elle rêve à des jours sans peine, à un monde sans haine. Elle glisse bientôt vers une liberté de ton qui l'enivre peu à peu, devient tendre avec lui puis le maudit pour ce qu'il est devenu et sa cause absurde. Soumise depuis sa naissance, elle se rebelle dans la pénombre de leur chambre tout en continuant à caresser ses cheveux. Elle en veut à Dieu et aux hommes qui soumettent, à ces soldats d'Allah ivres de haine, à cette vie obscure et ses illusions perdues. Elle se fera même putain par défi, presque sous les yeux de son mari, offrant son corps à ces hommes qui offrent leur sang, les bravant avec violence et sans peur.

Son époux est devenu sa "Syngué sabour", sa Pierre de Patience sur laquelle elle va déverser tout son amour et sa soif de liberté. Son âme se livre et sa bouche, en libérant tous ses secrets enfouis, l'affranchit. De soumise elle devient femme.

Vous ne devez pas passer à côté de ce court et sublime récit à la fois émouvant, tragique et accusateur, véritable prière incantatoire à la gloire de toutes les femmes prisonnières et soumises au nom d'un obscurantisme dégradant et nocif.

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