jeudi 16 octobre 2008

Humeur : Petit Suisse deviendra grand...

Artisan graphiste depuis vingt ans, je suis en train de perdre un client important pour les principales raisons que je suis "hors-moule" mais aussi trop petit à ses yeux. Je parle bien sûr de la surface de mon "entreprise". Ne sont remis en cause ni ma taille, ni celle de mon pénis, surtout pas celle de mes oreilles, non plus mes compétences, ni mon efficacité, ni la qualité de mon travail. A peine si mes coûts sont mis en balance tant je pourrais m'aligner commercialement. Non, il s'agit d'autre chose à mon sens et j'ai toujours eu le sentiment de faire un peu tâche dans cet univers aseptisé, équerré, qui se voudrait réglé comme une mécanique horlogère.

Normal, mon client appartient à un groupe Suisse.

Ce dernier entend rationaliser son "process" et établir de nouvelles règles de rigueur et de confiance dans un secteur souffrant d'une image souvent suspecte : le tourisme. A l'instar des garagistes et autres plombiers, l'Agence de Voyages et, à travers elle, le Tour Opérateur , sont mal-aimés. Un peu voleurs, un peu menteurs, il ont su pleinement profiter des belles années passées et certains, malgré l'internet florissant, continuent l'entubage. Louable donc, cette volonté compulsive de récurer la douche et de vider les poubelles.

Le Suisse est ainsi conçu, il aime les trottoirs lustrés.

Mon équipe et moi faisons un peu l'effet d'un commando, investissant la place avec notre matériel et nos propres méthodes, intervenant au cœur de la citadelle et en d'autres points par liaison internet. Nous sommes l'écharde sur le parquet ciré. Je comprend la crainte d'une telle intrusion dans un dispositif que l'on souhaite systématiser et contrôler totalement pour en chasser les travers. Je ne saurai donc lui tenir rigueur de vouloir, sinon javeliser la profession, du moins en rectifier certaines pratiques délétères. Le problème, c'est que le monde n'est pas la Suisse, même si La Finance Internationale en assure la régence depuis longtemps. Les méthodes imposées à l'esprit méditerranéen, dont nous sommes, souffrent souvent du peu d'adhérence à certaines valeurs qu'elles véhiculent et la conduite des affaires s'en trouve alors plus délicate.

A vouloir uniformiser absolument, l'âme se fane. La culture d'un pays ou d'une entreprise déprime, ce que j'ai à loisir, mais avec regret, observé dans celle-ci... avec ce sentiment étrange d'être d'avantage dans une compagnie d'assurance que chez un marchand de rêves.

J'ai d'ailleurs une pensée émue, je l'avoue, pour le fondateur du groupe, résident suisse du siècle avant-dernier, qui doit peut-être se retourner dans son mausolée. Je l'imagine, observant de ses limbes, les fruits aseptisés de son labeur, tandis que sa carriole fleurie continue de promener les touristes joyeux autour du lac Léman, ses chevaux déversant allègrement leur crottin fumant tout au long du circuit.

Au-delà de mon expérience présente, minuscule et ridicule gouttelette dans l'océan du business, la mondiale standardisation dont nous subissons chaque jour les effets gagne du terrain. Pensée unique, consensus mou, standardisation des outils et des méthodes, uniformisation des produits et optimisation actionnariale forment le dernier credo tendance de ce début du XXIe. Le lissage absolu de tout, englue notre quotidien sous un nappage conventionnel et fade. Les différences jadis recherchées pour attirer le chaland, sont aujourd'hui rejetées, les concurrences se réduisant de plus en plus à quelques groupes clonés offrant des produits identiques. Trop s'écarter du sentier, c'est prendre des risques que certains refusent dans le contexte actuel.

Tout cela est totalement compréhensible du point de vue d'un financier mais tellement triste à accepter. Un seul goût, une seule couleur, une seule tête je veux voir...

Sainte Manivelle, je prie pour ton retour !

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