mercredi 18 novembre 2020

Techno-Sapiens : bêtise régressive

Peut-être sommes-nous entrés dans une nouvelle grande période historique, une sorte de Néo-Moyen-Âge-Techno où certaines croyances insensées répondent à une médiocrité obscurantiste ambiante.

Comme de coutume, face à une situation incontrôlable et aux peurs engendrées, une nouvelle forme de religion émerge, répondant n’importe quoi aux questions légitimes que l'homme se pose. Homo Sapiens Sapiens a toujours préféré une réponse, même débile, à pas de réponse, préférant croire que comprendre.

Le conspirationnisme ou le complotisme, comblent les vides angoissants tout en dézinguant "les élites" qui tiennent les manettes de nos destinées. Ils ont également cette vertu, de rendre intelligent les crétins fondamentaux qui y adhèrent, du moins de les en convaincre. Ils sont ainsi persuadés qu'ils appartiennent à un petit groupe d'observateurs élus et lucides qui détiennent une vraie vérité cachée, tandis qu'on nous délivre une vérité calibrée, relayée par des médias mainstream, afin de nous maintenir endormis et obéissants. Cerise sur le gâteau, ces nouvelles formes de croyances sont auto-alimentées et participatives, chacun œuvrant, souvent dans un anonymat suspect, en étant persuadé d'être les adeptes prosélytes d'un nouveau messie virtuel et les conquérants revanchards d'un nouveau monde en devenir.

Malheureusement, et contrairement à d'autres formes de religions, les disciples de ce nouveau culte sont souvent d'une violence intellectuelle et d'une vulgarité verbale insupportables. Le maillage et l'efficience des réseaux asociaux relaient et amplifient la paranoïa de ces prédicateurs du pire, qui se répand comme une mauvaise bile, une vague exponentielle haineuse.

Ils nomment désormais "complots", la mainmise observée, par exemple, sur 95 % des richesses ou des médias par 5 % d'individus richissimes plus ou moins occultes. "L'État Profond" ou "Deep State", organisation secrète des puissants de ce monde, est à l'œuvre depuis toujours et joue avec nos misérables vies. Il semble bien que c'est le système capitaliste ultralibéral lui-même qui est totalement rejeté et considéré comme conspirateur visant à asservir, voire éliminer, la population mondiale, via différents procédés plus tordus les uns que les autres. Rejetant toute forme de pouvoir, politique, scientifique, culturel ou financier, sommes-nous en train d’assister à la naissance d'une véritable révolution populiste prenant sa source dans la résurgence d'une lutte des classes détournée et récupérée, accommodée aux relents antisémites habituels et tellement prévisibles ? Il s'agit sans doute encore de ce vieux démon en embuscade, jamais complètement disparu, épouvantail fatigué que l'on ressort à chaque crise, cause de nos maux et de toutes les injustices sociales. Tout cela est la fois fatiguant et, comme toujours, inquiétant.

Pour naviguer et fouiller régulièrement sur le web, le constat est pour le moins accablant et redoutable. La COVID 19, la crise économique, les attentats, l'immigration… autant de sujets brûlants analysés, disséqués, dramatisés, soupçonnés de manigances et de mensonges, alimentés de chiffres fantasmés, d'images truquées et de commentaires enfiellés… certains visionnages de vlogs ressemblent à des descentes en apnée dans les bas-fonds de l'âme humaine et de la pensée contaminée.

S'il s'agit bien de croyances sectaires pour la plupart, quelles armes pour les combattre ou même seulement les éclairer ? Leurs adeptes en sont totalement dépendants et ne considèrent le monde qu'à travers le prisme de leurs délires obsessionnels et parfois paradoxaux. Quels leviers pédagogiques actionner, sans être condescendants, pour faire redescendre le niveau de défiance atteint aujourd'hui ? Insoluble a priori de par leur appropriation des médias alternatifs, que sont les réseaux sociaux, les chaînes d'informations en ligne ou même les simples vlogs militants, littéralement gangrenés par la diffusion en masse de cette désinformation organisée sur tous les sujets. S'il était déjà difficile de faire la part des choses entre Le Figaro et Libération ou BFM TV et France Info, désormais cela est devenu impossible. La stratégie engagée semble être le brouillage systématique des médias et des données.

Le monde se divise donc aujourd'hui en deux blocs, les pro système et les anti système. Ceux qui croient encore en une société qui leur permettra d'avancer malgré ses travers et son lot d'injustices et ceux qui rejettent l'ensemble des discours et dispositifs d'autorité, pire, qui sont convaincus d'être manipulés et bientôt sacrifiés à l'autel de l'avidité des puissants, victimes annoncées d'une cabale mondiale. On nage en plein délire paranoïaque et il n'y a aucune raison que cela cesse.

"Le vent se lève" et/ou "Winter is coming !"

5 commentaires:

ZL a dit…

Camarade,

Je ne te suis pas totalement dans cette vision mono dimensionnelle de la situation. Il n'y a pas d'un côté les pro-systèmes non conspi et de l'autre les conspi-anti-systemes...

Pire : il y a de nombreuses façons d'être pro-système et il existe même une compétions entre les différentes facettes/couches des "sysyèmes".

Symétriquement, le conspirationnisme est un continuum qui peut commencer par la simple mise en pratique du doute systématique (voir ton post sur la Zététique) pour finir dans le plus franc délire paranoïde.

Il faudrait aussi et surtout s'interroger sur les objets d'attention du complotiste (sur quelle(s) thématique (s) son attention/obsession se fixe-elle comme sur la thématique des différentes organisations supposées comploteuses ?

Bref, l'irruption de cet élément de langage "le complotisme" dans le corpus du langage commun, me semble pour le moins confusant... pour ne pas dire suspect :)

ZL

patbac a dit…

Je ne pensais pas avoir été si manichéen, à savoir que tous les anti-système ne sont pas forcément conspirationnistes. Heureusement, sinon il y en aurait plus de 50%.

Je voulais dire qu'une fracture semble se former entre ceux qui croient encore au vivre ensemble et aux institutions bien qu'ils puissent être totalement opposés au pouvoir en place et ceux qui ne consentent plus du tout à la légitimité des élus et remettent en cause toutes les instance dirigeantes jusqu'à la constitution elle-même. Parmi eux se trouvent un certain nombre de "complotistes".

"Complotisme" ou encore "islamogauchisme" qui n'a rien à voir mais qui fait partie de ces nouveaux mots/étiquettes surgis des chapeaux journalistiques, considérés et critiqué comme arguments péremptoires et définitifs pour mettre fin à tout débat, ce qui n'est pas, selon moi, nécessairement le cas, et qui témoignent malgré tout d'une réalité. Bref !

Il n'en demeure pas moins qu'ils n'apparaissent pas du néant et que, pour le "complotisme" notamment, il revêt une démarche intellectuelle toxique et déstabilisatrice qui recherche, par paresse intellectuelle, une explication simple parfois irrationnelle, à une situation ou un événement complexe souvent incompréhensible. L'éternel antagonisme entre croire et comprendre.

Je maintiens que la démarche est délétère voire dangereuse, certainement crétine. Quant au zetétitien, dont le doute constitue la mécanique intellectuelle principale, il ne peut être conspirationniste puisqu'il a besoins de preuve pour adhérer. Une fois les preuves révélées, la conspiration n'est plus par définition. Le complotiste, lui, se complait dans un scénario vaseux qu'il aime partager avec son club d'élus super malins mais super cons.

Il existe néanmoins des pointures intellectuelles qui valident certains délires parce qu'il me semble, que la tentation est forte parfois d'imaginer le monde à travers un autre prisme qui remette en question nos fondamentaux. Le succès de films comme "Matrix" par exemple, même si lui nous emmenait très loin, en est une magnifique illustration.Exercice périlleux que nous avons tous goûté mais dans lesquels certains ont trouvé un réel confort et s'y sont noyés.

patbac a dit…

Ah oui au fait, aucun rapport mais j’ai terminé depuis longtemps ton Albert Combry. C’est Nawak, quoique certains passages sont assez costauds, en tous les cas c’est réellement savoureux. Bien sûr j’attend le volume 2. Bises !

ZL a dit…

Je ne t'ai pas remercié pour ton aide ! Honte à moi. Je vais attendre encore une quinzaine de jours avant d'essayer de mettre en musique(et en édition) le bouquin avec tes corrections...et les suites sont en chantier !

ZL a dit…

En ce qui concerne le "complotisme", mon commentaire ne dit pas du tout que "tous les anti-systèmes ne sont pas forcément conspirationnistes" mais qu'il existe toute une palette de nuances, tant dans les manières d'être anti-systèmes (et de quels systèmes parle-t-on ?)ainsi que de nombreuses nuances de complotisme, tant dans l'objet des complotismes(les thématiques) que dans les cibles (qui est sensé comploter ?)