mercredi 4 mars 2009

Film : Slumdog Millionaire - Dany Boyle

Sacré Dany. Un magicien éclectique dont ce dernier film (huit fois récompensé aux Oscars) est un pied de nez à ceux qui le croyaient éteint et "conventionnalisé". Il est évident qu'il a pris plaisir à le réaliser tant ce film pétille du début à la fin... dans la couleur des images, les rythmes de la bande-son et du montage ou le regard des acteurs...

Le scénario est malin et tellement positif qu'il résonne comme un hymne à la joie et à l'espoir. Du Boolywood revisité avec inspiration et gourmandise.

Jamal, 18 ans, orphelin issu des bidonvilles de Mumbai, est "questionné" (comprendre torturé) par la police pour avouer qu'il a triché alors qu'il est sur le point de remporter la somme colossale de 20 millions de roupies à « Qui veut gagner des millions? » version indienne. Il ne lui reste qu'une question avant la victoire finale lorsque la police l’arrête, sur la demande de l'animateur, et le somme de justifier l'ensemble de ses bonnes réponses. Jamal raconte alors toute sa vie, de sa petite enfance dans les ordures, à la recherche perpétuelle de cette fille dont il est tombé amoureux et dont il n'a cessé de perdre régulièrement la trace à travers le pays.

Récit émouvant que celui de cet enfant devenu adulte au travers d'épreuves douloureuses, parfois violentes ou simplement cocasses, dans cette Inde misérable au début du film et qui semble évoluer et se moderniser à mesure que Jamal grandit et se rapproche de son but. Le gouvernement Indien critique le film dans ce qu'il a de misérabiliste. L'Inde a honte de ses bidons-villes, de ses "slumdogs". Qui est le responsable, celui qui montre ou celui qui veut cacher ? En fait, Boyle filme la misère avec une réelle légèreté en faisant de ces enfants joyeux et pleins d'espoir les héros de son film. Il n'y a là rien de négatif ni de dévalorisant, au contraire. Qu'il y ait une prise de conscience de l'occident (de l'Amérique) qu'une vitrine moderne, technologique et économiquement tonique cache un Moyen Âge misérable, ne peut qu'aller dans le bon sens.

Le fait que ce film ait raflé autant de récompenses face à des "Milk", "Benjamin Botton" ou encore "The Wrestler", étonne voire choque la critique intellectuelle du milieu cinéma. Certes, les propos de "Milk" sont plus engagés, la profondeur et la technique de "Benjamin Botton" plus évidentes ou encore le drame de "The Wrestler" plus percutant, mais il semble bien que "Slumdog Millinaire" soit à la croisée de tout cela, en phase avec une époque bien particulière et qu'en plus, ce soit fait avec style et que l'on ressorte de la projection avec un sourire béat ce qui est devenu rare.

On peut effectivement voir dans cette avalanche de bons sentiments et de détachement joyeux, le mea culpa d'une Amérique qui remet en cause la part sombre de son impérialisme et regarde le monde d'un œil nouveau et bienfaisant. On peut effectivement voir dans l'ascension de Jamal, via le jeu "Qui veut gagner des millions ?", l'unique et occidentale issue pour le tiers-monde de s'en sortir. Tout cela me paraît bien réducteur et ce serait oublier l'évidente réalité qui est que l'économie mondiale repose sur un modèle occidental et que l'Inde en est aujourd'hui un acteur majeur. On peut ne pas aimer ce jeu profondément aliénant mais il n'est ici qu'un prétexte, un artifice, un levier narratif, peut-être pas complètement innocent je vous l'accorde, pour raconter une histoire formidable. Celle d'un enfant qui aimait la vie, aimait les autres et qui a toujours cru à son étoile et à son destin. C'est bien parce qu'il n'a jamais renoncé qu'il est arrivé tout en haut.

Oubliez les 20 millions, après tout ils n'ont jamais été le sujet du film et courez déguster cette véritable pépite de bonheur.

Film : Eden Lake - James Watkins

Encore un film dérangeant et particulièrement violent, pour ne pas dire féroce, qui mêle avec un certain brio, et au sens littéral du terme, lutte générationnelle et lutte des classes . Ce dernier point semble d'ailleurs être un passage obligé pour tout réalisateur anglais.

Les faits : Jenny et Steve, un jeune couple de Londoniens, bourgeois et propres sur eux, quitte la capitale pour passer un week-end romantique et sportif au bord d'un lac idyllique (d'où son nom). L'endroit parfaitement tranquille et bucolique est rapidement troublé par une bande d'adolescents bruyants et leur Rottweiller agressif. Quelque peu excédé, Steve leur demande gentiment de tenir leur chien et de baisser le volume de leur radio. Il n'aurait pas dû car il vient de déclarer une guerre qui s'avérera d'une cruauté inouïe.

Scénariste de The Descent, Watkins passe pour la première fois à la réalisation avec ce thriller dérangeant et oppressant car mettant en scène la mort d’enfants et d'adolescents par des adultes, bien qu'en situation d'auto-défence, le tout avec une violence sans issue. Il s'agit d'un combat double, celui de l'autorité "parentale" en substituant ces deux campeurs à leurs parents autoritaires et violents et celui, éternel, de deux classes sociales, dont la plus défavorisée prend son pied à casser du bourgeois, jugé forcément arrogant dans son 4x4 rutilant.

Référence évidente à Délivrance de John Boorman, ce nouveau "Survival" dans une nature devenue hostile après avoir été un décor de rêve, montre des citadins démunis devant affronter des locaux sur leur terrain, désœuvrés, livrés à eux-mêmes et sans aucune pitié. La surenchère est très nette par rapport à Délivrance, évolution des mœurs oblige. La crise est passée par là aussi bien au niveau de l'emploi que de l'autorité. Ainsi au-delà des enfants-tueurs, la responsabilité des parents complices, pointée du doigt, démontre sans doute que l'on a les enfants que l'on mérite.

Jenny est jouée par Kelly Reilly la petite anglaise de "L'Auberge Espagnole" et des "Poupées Russes", un contre-emploi évident et une réelle performance. Michael Fassbender (vu récemment dans" Hunger" de Steve McQueen) joue Steve. Le jeune Jack O'Connell, qui joue Brett le chef de bande, fait franchement froid dans le dos. Un casting inattendu et impéccable.

Bien que ce tout cela soit du cinéma, le réalisme de l'ensemble et la possibilité qu'une telle situation puisse exister, procurent une tension et un malaise qui persistent bien au-delà du générique.

Quant à la chute elle-même... ce serait un crime de la dévoiler !

Un gros souci tout de même. Le film stigmatise un peu plus une certaine jeunesse et joue avec une des nouvelles peurs de nos sociétés occidentales, la confrontation possible avec une bande de jeunes sans repère, ni foi, ni loi. Cela est tout de même fort gênant même si les qualités cinématographiques sont évidentes.

dimanche 1 mars 2009

Film : L'échange - Clint Eastwood

Un autre film du grand Clint vu dans la foulée. Sorti en novembre 2008, à peine trois mois avant son dernier Gran Torino, il prouve à quel point le réalisateur de soixante-dix-huit ans se hâte de raconter et de montrer. Avec ce monument cinématographique de deux heures trente, sans une seconde d'ennui, il démontre une fois de plus, s'il en avait besoin, l'étendu et la maîtrise de son talent, son éclectisme absolu ainsi que l'humanité de son regard perçant.

1928 - Los Angeles : Christine Collins (Angelina Jolie), mère célibataire, situation très mal vue à l'époque, part travailler et dit au revoir à son jeune fils Walter. Quand elle revient chez elle, Walter a disparu. Après cinq mois d'enquête, à grand renfort de publicité, la police lui restitue un garçon de neuf ans affirmant être son fils. Sous la pression des policiers et des journalistes, bouleversée par ses propres émotions contradictoires, elle ramène le garçon chez elle sachant pourtant qu'il n'est pas son fils. Elle essayera de convaincre les autorités de relancer les recherches mais par là-même, remettra en cause le système, attitude jugée inadmissible de la part d'une femme dans cette période trouble, nous sommes en pleine prohibition. Accusée d'être irresponsable et folle, elle sera jetée en hôpital psychiatrique avec la complicité des médecins et infirmiers. Un pasteur (John Malkowitch), notoire opposant des autorités qu'il juge impuissantes et corrompues, deviendra un allier puissant pour l'aider dans sa lutte et ébranler les institutions.

L'histoire, tirée de faits réels qui ont, à l'époque, déstabilisé le système judiciaire californien, rend les propos du film encore plus effroyables. Le classicisme épuré de sa réalisation, trop académique peut-être diront certains, sans effet ni esbroufe, suit au plus près et intimement le désespoir et l'incompréhension vécus par cette mère courage que rien ni personne ne fera capituler.

Le scénario tient en haleine constante jusqu'à glacer le sang parfois. Ainsi deux histoires se chevauchent, celle de cette mère dont l'enfant a disparu, cauchemar parental par excellence et une autre bien plus monstrueuse, celle d'un "ogre" horrifique, cauchemar enfantin éternel... Eastwood passe allègrement de l'une à l'autre de ces figures dont les histoires finiront par se croiser complètement.

Et puis, Angelina est tellement belle et sobrement émouvante sous la caméra du maître, qu'on ne peut que la suivre passionnément tout au long de sa terrible quête construite sous forme de thriller éprouvant et révoltant.

Un grand moment puissant de cinéma signé Clint Eastwood. Un de plus !