lundi 22 décembre 2008

Humeur : Delord, Monsignore !

Le Sieur Delord est encore jeune, du côté des trente-cinquième rugissants. Certains le disent brillant et il possède la classe naturelle des business-prédateurs. Il ne jouit pas encore du titre de Calife mais il crapahute l'animal, il en veut et il l'aura. Il gravit les échelons comme il est monté à la capitale, quittant une entreprise importante bien que ringarde et une province où il fait bon vivre bien qu'étriquée. C'est qu'il a soif de hauteurs et d'espace le bel oiseau. Il a le regard perçant du rapace... verrouillage de cible et piqué fulgurant. Il semble déjà évident que la simple Direction Nationale ne suffira pas à combler son plan de carrière. Décollage programmé vers l'Objectif International qui, dans le cas présent, se situe en Suisse et ensuite, qui sait, pourquoi pas l'Univers voire au-delà...

Il en va de l'arrivisme comme de n'importe quel alcaloïde basique, dépendance liée à l'insatiabilité mais aussi irritabilité teintée de paranoïa. Arrogant et pressé, il estime que tout ce qui est sous lui est corvéable et dérisoire et que ce qui est au dessus le sera sous peu. Son management est terroriste. Divisant et menaçant, parfois hystérique, il a détruit l'esprit "corporate" et fédérateur tout en prétendant le renforcer, aidé en cela par un contexte économique qui favorise, sinon l'attachement aux valeurs, du moins le mutisme des employés circonspects. Absolument personne, dans cette entreprise "modèle", ne sait ce que demain sera, chacun ayant le pénible sentiment d'être assis quotidiennement sur un siège éjectable. Les plus audacieux et surtout les plus chanceux ont déjà quitté les lieux pour d'autres horizons moins stressants.

Il règne dans cette entreprise de voyages, censée vendre du rêve, une ambiance glaciale où la délation est une règle et l'initiative un péché, malgré les beaux discours sur l'implication, la motivation, l'esprit de décision, poil au fion...

Intimement convaincu qu'il faut être craint pour être respecté et qu'il est nécessaire de diviser pour régner, il aime brosser ses brebis soumises dans le sens du poil mais ce qu'il préfère, c'est leur gesticulation affolée dès les ordres émis, surtout quand les délais d'exécution sont réduits à néant. Sans doute considère-t-il qu'en de-ça d'un certain niveau, la vie doit être un enfer, une punition supplémentaire pour toute cette masse laborieuse et dépendante qu'il surplombe. Ce management d'un autre âge ne peut être que l'aveu d'un profond manque de confiance en soi, résultant d'un ensemble de frustrations sévères. Brillant mais un poil névrotique le lascar et, au bout du compte, parfaitement imbuvable. Il fait trembler les étages et l'on s'esquive ou l'on s'aplatit sur son passage selon l'ambition de chacun. Si j'étais son supérieur hiérarchique je me prescrirais des antidépresseurs tout en ajustant mon casque lourd. Bref, il commence à se faire une sale réputation dans le milieu et je ne suis pas fâché que ma collaboration avec ses services prenne fin, enfin. J'adore mon métier et jamais il n'avait été une corvée jusqu'à ce que ma route croise celle de cet agité antipathique.

Au-delà de cette affligeante aventure personnelle, qui n'est rien en regard de ce qu'endurent les salariés piégés de cette entreprise, je me posais moult questions sur les différentes formes de management en 2008. Qu'en est-il des managements basés sur "les opérationnels", "les experts", "les réseaux", "l'organisation" ou encore "les ressources". Ne demeure-t-il pas aujourd'hui uniquement celui des "actionnaires" ? Où sont parties se terrer Lutte-des-Classes et Énergie-Contestataire ? À l'heure où tout semble s'effriter et où chacun s'accroche à son maigre emploi avec l'énergie du désespoir, qu'en est-il de la déontologie patronale (j'ai dit un gros mot ?) et de l'adhésion salariale aux valeurs de l'entreprise ? Quelles pensées circulent dans les méandres alambiqués des cervelles endormies de ces travailleurs qui se lèvent tôt pour s'entasser dans les RER et les métros pour être déposés chaque jour devant leur pointeuse implacable ? Craignent-ils pour leur proche avenir, ont-ils de plus en plus le sentiment de demander l'aumône, se sentent-ils exponentiellement fragilisés au centre du face à face déséquilibré Décideurs-Syndicats (pour ceux qui ont la maigre chance d'être équipé d'un syndicat en état de marche) ? Quelles pensées habitent les Grands Patrons en cette fin d'année 2008, quels leviers sont actionnés et quels prétextes sont avoués pour dégraisser d'un côté et engraisser de l'autre. Même si quelques nuages obscurcissent momentanément le ciel, il fait toujours beau à Grand Capital Land, les habitants y sont beaux, bronzés et souriants tandis qu'en bas des remparts, l'armée des gueux se regroupe, enflant chaque jour d'avantage…

Franchement, je ne vois pas d'autre issue que de prendre le château pour abattre ce nouvel ordre inique et redistribuer une partie des récoltes spoliées.

5 commentaires:

clodlemaire a dit…

États d'âme qui pourraient être fort louables, si nous, pauvres lecteurs occasionnels de Sismiose, savions de quel "Delors" il s'agit...
Jacques, père de Martine?... ou un autre...il n'y a pas qu'un âne qui s'appelle Martin...il n'y a donc pas qu'une crapule qui s'appelle "Delors", dont le nom est peut-être prédestiné, si l'on enlève le "s".
Et puis j'ai souvenir de certains Judas qui n'hésitèrent pas à vendre leur(s) ami(s) pour une poignée de deniers...à moins que ce ne fût pour quelques talents d'or...dans tous les cas ça fait toujours mal aux bourses...
"La poutre qu'on a dans le "cul" est toujours plus douloureuse que la paille qu'on se met dans le nez.
A+
Clod

clodlemaire a dit…

Pour éviter de me faire égorger pendant mon sommeil, je me vois dans l'obligation de rendre à meredith Benzazon ce qui est à meredith Benzazon : la méta-parabole de la poutre et de la paille.
Cette dernière est sa trouvaille lorsqu'un soir dans notre salon nous devisions, fort agréablement de surcroit. Décidément mon amoureuse me fait vraiment rire, et c'est pour ça que j'en ai peur....

patbac a dit…

Qu'importe le Delors, celui-ci ou un autre, ils sont légions, en effet et hélas, qui profitent de l'époque et emploie leur petite vie à pourrir celle des autres. Il s'agit bien ici d'une forme de Talent cultivé avec rage pour, sinon amasser de l'or, du moins contrôler le capital humain.

Merci encore pour cette magnifique parabole de la poutre qui, bien que douloureuse, a le mérite d'aller au fond des choses...

patbac a dit…

Quant aux Martine, fille de Delors ou non, elles foisonnent également et sont pour ainsi dire omniprésentes voire omnipotentes : de "Martine à la plage" à "Martine Première Secrétaire" la palette des activités est ample...

clodlemaire a dit…

Qu'elles aillent à la plage ou qu'elles prennent le poste de premier secrétaire d'un parti de droite qui se dit de gauche, m'importe peu...les martines resteront toujours des martines...les seules que j'ai appréciées sont celle que j'ai...mais je crois que je m'égare, ça n'était pas le sujet de ton article. Il me semble entrevoir d'ailleurs un certain anarco-individualisme qui pourrait presque passer pour du militantisme si la Fédération Anarchiste était un parti....Dieu (qui n'a rien à voir dans cette histoire...paix à son souvenir) merci les anars sont autonomes et les patrons restent patrons. Seul compte le buziness, c'est du moins ce que l'on dit.